je regardais l'eau


l'eau de la rivière
je la regardais
hypnotisée
je me suis penchée
j'ai dit à l'eau
j'ai dit :
enveloppe
veloppe
moi
prends moi
prends l'eau moi
et j'ai vu l'anguille
l'anguille en moi sinueuse
elle sinue
j'ai dit :
sinues monstre
ondule
onde ondule
monstre circonvolu
plombe
pleine les poches
plonge
j'ai dit :
bulle l'air
monstre
manque
l'air manque affreusement
j'ai dit :
colère pousse
j'ai dit comme la sirène l'arme la clarine des vaches aux naseaux fumants
l'immense bruit des cheminées
l'immense vibration
j'ai dit :
pousse pousse le cri
l'appel
pousse l'air manque
tu croyais que tu ne tenais pas à la vie
que tu ne poussais pas à la vie
à rien
tu croyais que tu ne croyais pas à l'amour
ne croyais pas
rien
ne croyais rien
noyade
tu te nois
des yeux si loin
les yeux d'Elsa
ceux si profonds
bleus ?
que je m'y noie
caverne sans toit sans fond sans ombres
ne te retourne pas
garde tes yeux pour toi
Elsa
ou d'autres
d'autres que moi
garde-les Elsa
garde les puits d'eau sombre, d'algues, de misères
petites misères comme nous
nous
Elsa
comme nous tous
on n'y échappe pas
pousse
ça pousse
ça bat
fort le cœur
l'antre, le rêve
ça t'assassine
trop grand
trop profond
puits
caverne sans fond
grotte sans bords sans mains sans galeries
grotte atrocement grotte
sans boyaux sans nerfs sans désert
sans bruyères et sans falaise
antre lisse
lit à cauchemars
draps rêches
lichens
écorce saigne
vacille et vocifère
pousse

texte écrit le 29 janvier à l'écoute des mondes, pièce électroacoustique de Pôm Bouvier B